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Danses et chansons, Espace Django

Musique de chambre

Danses et chansons, Espace Django

Publié le
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Gregory Massat

vendredi 14 janvier à 14h30

Espace Django

Informations et billetterie sur espacedjango.eu 

 

Une mécène et trois femmes-compositrices pour ce programme de musique de chambre. À une époque où le pouvoir masculin dominait, Marie Jaëll, Mel Bonis et Louise Farrenc ont tenté, avec plus ou moins de bonheur, de s’imposer dans un univers teinté de machisme et de conservatisme. Leurs œuvres trouvent enfin un écho et montrent que leur talent était à l’égal de leurs confrères.   

 

PROGRAMME

Maurice Ravel
Chansons madécasses   

Cécile Chaminade
Valse chantée
, extrait de Portrait          
Menuet     

Mel Bonis
Suite en trio
  

Marie Jaëll
Rêverie
, extrait de Les orientales  

Louise Farrenc
Trio en mi mineur
 

Durée : environ 1h10

Gabriel HENRIET, violon - Pierre PORO, violoncelle

Sandrine PONCET-RETAILLAUD, flûte - Olivier RAKOTOVAO, piano - Dilan AYATA, soprano

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LES OEUVRES

Maurice Ravel (1875-1937)

Chansons madécasses

C’est à la demande de la mécène américaine Elizabeth Sprague-Coolidge que Maurice Ravel compose les Trois Chansons madécasses sur des poèmes d’Évariste de Parny, qui aurait traduit en français des textes traditionnels de l’île Bourbon.

Dans son Esquisse biographique, le compositeur précise : « Les Chansons madécasses me semblent apporter un élément nouveau - dramatique voire érotique – qu’y a introduit le sujet même de Parny. C’est une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d’instrument principal. La simplicité y domine. L’indépendance des parties (s’y affirme) que l’on trouvera plus marquée dans la Sonate (pour violon et piano). » Outre le violoncelle et la voix, une flûte et un piano très souvent utilisés hors de leur tessiture, complètent le quatuor. Comme dans la Sonate pour violon et violoncelle, le compositeur parvient à dépouiller la mélodie, à épurer l’harmonie, apportant un panorama musical simple, mais riche, d’une écriture suave réduite à l’essentiel.

Dans la première chanson, Maurice Ravel crée une atmosphère envoûtante et sensuelle pour la « belle » Nahandove, mais le duo rêveur du violoncelle et de la voix est interrompu par le piano qui, par son rythme, suggère « la marche rapide » et « la respiration précipitée » de Nahandove vers « le lit de feuilles » et la flûte (l’amant) apparaît. Maurice Ravel transcrit le dialogue amoureux par de nombreux ostinatos rythmiques. La chanson se referme dans un climat de douceur semblable à celui du début. Au texte de Parny, Maurice Ravel ajoute le cri de guerre Aoua, qui donne la mesure de son engagement anticolonialiste. À ce cri complété de « Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage » succède un long épisode bitonal (piano, violoncelle, flûte), « quasi funèbre, où le piano doit sonner comme un gamelan » (Marcel Marnat).  Un nouvel épisode accelerando (« Nous avons vu de nombreux tyrans, plus forts et plus nombreux, planter leur pavillon sur le rivage ») débouche sur un allegro feroce où la petite flûte s’oppose au martèlement du piano. Comme dans Nahandove, la conclusion ramène le calme et traduit « l’assouvissement d’une véritable ivresse de liberté : très surréalistement, le désir et la révolte ont mené aux mêmes extases » (Marcel Marnat). Le cycle se referme sur Il est doux, la mélodie la plus dépouillée et la plus épurée du recueil. Le texte que d’aucuns qualifieront de machiste, est marqué par l’humour au second degré de Maurice Ravel.

 

Cécile Chaminade (1857-1944)

Valse chantée, extrait de Portrait

Menuet

D’origine méridionale, Cécile Chaminade reçut les encouragements d’Emmanuel Chabrier, de Camille Saint-Saëns et de Georges Bizet au cours de ses années d’études au Conservatoire de Paris. Brillante, elle fut l’une des premières femmes pianistes-compositrices à obtenir une reconnaissance et une audience du monde musical en France et en Grande-Bretagne.

Figure des salons parisiens de la Belle Époque, qu’elle impressionna par sa virtuosité, Cécile Chaminade laisse un corpus d’œuvres en tout genre : pages symphoniques, concertos, ballets, pièces pour piano et de musique de chambre, des mélodies. Celles-ci ont été regroupées en quatre volumes de Vingt mélodies par l’éditeur Enoch. « Elle ne manifeste pas un goût poétique exigeant, mais aborde le genre avec professionnalisme, sinon avec génie » (Marie-Claire Beltrando-Patier).

Les deux mélodies proposées pour ce concert ont été composées en 1904 sur des textes de Pierre Reyniel.

 

Mel Bonis (1858-1937)

Suite en trio op.59

Vers la fin de sa vie, malade et alitée, Mel Bonis - diminutif sans connotation féminine de Mélanie qu’elle choisit pour ne pas être reconnue comme femme compositeur - écrira : « Ma grande tristesse, ne jamais entendre ma musique. »

Seule, elle apprend à jouer du piano et ne recevra ses premiers cours qu’à l’âge de douze ans. Impressionné par ses capacités, César Franck use de son influence pour la faire admettre au Conservatoire de Paris en 1876, où elle obtient les Prix d’harmonie et d’accompagnement. Elle aura pour condisciples Claude Debussy et Gabriel Pierné.

Entre le début du XXe siècle et la Première Guerre mondiale, Mel Bonis essaiera de faire connaître ses compositions, mais ce seront surtout les salons prisés à l’époque qui l’écouteront, au détriment des salles de concert. Et pourtant, ses œuvres seront jouées par les plus grands : Francis Planté, Louis Fleury, Louis Feuillard ou encore Gabriel Pierné. En 1911, elle devient secrétaire de l’Association des compositeurs mais, au-delà de la reconnaissance de ses pairs, cela est insuffisant pour la notoriété qu’elle était en droit d’espérer.

Mel Bonis laisse près de trois cents œuvres. Elle s’intéressera à tous les genres, à l’exception de l’opéra. En musique de chambre, elle compose un septuor intitulé Fantaisie pour piano, un quatuor à cordes et deux flûtes, trois sonates pour violon et piano, flûte et piano, et violoncelle et piano, un septuor à vents, deux quatuors pour cordes et piano, plusieurs duos, trios et quatuors pour formations diverses, qui constituent des œuvres majeures.

La Suite en trio est composée en 1903. Sérénade, premier des trois mouvements, se caractérise par sa tristesse et son côté langoureux. Le suivant, Pastorale, est plus enjoué tout en épousant une atmosphère à peu près similaire au mouvement précédant. Enfin, le Finale est à la fois énergique et espiègle.  

 

Marie Jaëll (1846-1925)

Rêverie, extrait de Les orientales        

Comme Mel Bonis, Marie Jaëll-Trautmann, née en Alsace en 1843, sera l’une des rares femmes admises à la Société des compositeurs en 1887. Elle mènera avec son mari Alfred Jaëll une brillante carrière de pianiste et c’est à partir de 1870 qu’elle s’intéresse à la composition. Elle écrit dans son Journal : « Apprendre à composer, passion qui ne me quitte jamais ».

Le piano a été l’instrument principal de sa pensée créatrice. Elle écrit « à la fois des œuvres pleines de sensibilité, de charme, que même les interprètes amateurs pouvaient jouer, et d’autres austères et très ardues, accessibles aux virtuoses confirmés » (Marie-Laure Ingelaere). Franz Liszt sera l’un de ses soutiens et ardents défenseurs. Il dira : « Un nom d’homme sur votre musique et elles seraient sur tous les pianos ».

Elle laisse environ vingt-cinq mélodies et s’inspire de textes dont elle est l’auteur, mais également de poèmes de Jean de Richepin (La Mer), de Victor Hugo (Les Orientales), de Charles Baudelaire et de Pierre de Ronsard. Son art de l’accompagnement est de suivre au plus près les sentiments portés par la voix.

Au moment de la publication des Orientales, elle écrit à son éditeur : « Je viens de terminer un recueil des mélodies tiré des Orientales de Victor Hugo. C’est beaucoup mieux que tout ce que vous connaissez de moi. En la voyant vous constaterez sans doute que c’est une œuvre durable qui aura un grand retentissement ». Malheureusement, l’histoire de la musique lui donnera tort et ce cycle tombera assez rapidement dans l’oubli. Écrit en 1828, le recueil des Orientales comprend quarante-et-un poèmes. Marie Jaëll en retient sept, dont Rêverie qu’elle met en musique en 1893.

 

Louise Farrenc (1804-1875)

Trio en mi mineur n°4 op.45

À la différence de Mel Bonis, dont l’entourage familial était peu favorable à son développement artistique, Louise Farrenc peut compter sur le soutien sans faille de sa famille qui compte en son sein des sculpteurs et des peintres. Dès l’âge de six ans, elle prend ses premiers cours de piano et bénéficie de leçons lorsque les pianistes virtuoses Johann Nepomuk Hummel et Ignaz Moscheles se produisent à Paris. Neuf ans plus tard, elle s’intéresse à la composition et suit l’enseignement d’Antoine Reicha. Au début des années 1820, ses premières œuvres pour piano sont éditées par son mari Aristide Farrenc, flûtiste et éditeur. En 1842, elle se voit confier une classe de piano au Conservatoire de Paris. Elle y restera trente ans.

Après une période (1825-1839) consacrée essentiellement à des œuvres pour piano, Louise Farrenc compose entre 1840 et 1858 de la musique de chambre et de la musique symphonique, avant de revenir à la musique pour piano entre 1858 et 1864.

Le Trio en mi mineur est créé en décembre 1856. Le journal La France musicale rend compte de cette création en des termes élogieux : « Que de grâces dans les thèmes ! Que de délicatesse dans le choix des harmonies ! Quelle spontanéité dans les développements ! C’est partout une fraîcheur exquise, un sentiment jeune et florissant, une expansion débordante : on dirait l’œuvre d’un Mozart à vingt ans ».

En quatre mouvements, le Trio s’ouvre sur un Allegro expressivo à la tonalité sombre au début, pour progressivement aller vers l’espérance. L’Andante permet à la flûte d’exprimer tout son potentiel et son chant, tour à tour accompagné soit par le violoncelle, soit par le piano. C’est un climat pastoral qui prévaut dans le Scherzo. L’œuvre se referme sur un Finale très contrasté.