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Entretien avec Lucienne Renaudin Vary

Concert symphonique

Entretien avec Lucienne Renaudin Vary

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Jim Coral

Lucienne Renaudin Vary : la voix de la trompette 

Surnommée la « fée trompette », Lucienne Renaudin Vary est une des meilleures ambassadrices de son instrument sur la scène internationale : « Révélation soliste instrumental » des Victoires de la musique classique en 2016, elle arpente un large répertoire, allant du baroque au contemporain, en passant par le jazz. Rencontre avec une passionnée, pour qui l’instrument permet d’exprimer bien des nuances, à rebours du jugement de Berlioz dans son Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes, qui écrivait : « Le timbre de la trompette est noble et éclatant ; il convient aux idées guerrières, aux cris de fureur et de vengeance, comme aux chants de triomphe. » 

La rencontre avec la trompette fut-elle un coup de foudre ? 

Je ne sais pas s’il existe une expression plus forte que « coup de foudre » [rires], mais ma découverte est de cet ordre-là : j’étais en cours de solfège au Conservatoire du Mans quand des professeurs de trompette sont venus présenter l’instrument, car ils manquaient d’élèves dans leur classe. Ils l’ont fait essayer, ont montré les différentes techniques… Je me suis immédiatement dit : « C’est ça que je veux faire. » À neuf ans, je me levais très tôt le matin avant d’aller à l’école pour jouer, puis je rejouais entre midi et deux, et le soir. Chaque instant disponible était consacré à la trompette. J’en découvrais toutes les nuances et les capacités sonores, puisqu’elle peut exprimer les sentiments les plus divers ! Très rapidement, j’ai ainsi su que je voulais en faire mon métier… 

Pourtant, la trompette est un monde réputé très masculin… 

C’est vrai, mais les choses ont changé sous l’impulsion de pionnières comme la Britannique Alison Balsom ou la Norvégienne Tine Thing Helseth, deux solistes qui ont montré la voie. Petite fille, elles m’ont permis de m’identifier à elles. Avant, c’est vrai, on ne voyait que des hommes, comme si c’était rentré dans l’inconscient qu’une femme ne pouvait pas jouer de la trompette. 

À quoi ce stéréotype était-il lié ? Beaucoup pensent qu’il faut une immense quantité de souffle pour jouer de la trompette… 

Alors que c’est faux ! On n’a pas besoin de tant d’air que ça, il faut juste bien le gérer et être endurant. Le plus important réside dans le travail et la vibration des lèvres : il est impératif de jouer tous les jours pour muscler le masque. 

Quel est votre rapport avec votre instrument ? 

J’ai toujours considéré mon instrument comme ma voix : il est le moyen avec lequel je m’exprime le mieux. Pour moi, jouer de la trompette est plus naturel que de chanter. 

Le répertoire pour trompette est très large à l’ère baroque – avec Telemann, Torelli, etc. – et à l’époque contemporaine, mais les romantiques se sont peu intéressés à l’instrument : n’est-ce pas une frustration ? 

C’est vrai, même s’il y a le très beau Concerto d’Oskar Böhme que j’essaie de promouvoir. Ce grand vide existe réellement. Je tente – et je ne suis pas la seule – de le combler avec des transcriptions, car c’est une période de la musique que j’adore. Je suis jalouse d’autres instruments, pour qui le XIXe siècle représente un âge d’or… 

Au disque, vous arpentez un répertoire très large, de Piazzolla Stories (Warner Classics, 2021) aux Concertos de Hummel, Haydn, etc. (Warner Classics, 2022), en passant par Jardins d’hiver (Warner Classics, 2024) que vous conseillez de consommer « avec une tasse de chocolat chaud » : quels sont vos projets ? 

J’ai enregistré un disque qui attend, bien au chaud : il sortira dans un an1. Ce CD sera mon album le plus jazz, réalisé avec mon quintette, où se trouvera l’œuvre de Bernd Alois Zimmermann que je joue avec l’Orchestre, avec un chœur de trompettes. Je me suis entourée de musiciens incroyables : Hugo Lippi à la guitare, Thomas Bramerie à la contrebasse, Franck Agulhon à la batterie et Vincent Bourgeyx au piano… On trouvera aussi des morceaux de Grieg que j’ai voulu réinterpréter façon jazz ou encore des pièces du compositeur catalan Federico Mompou que j’adore. Mais on ne va pas tout dévoiler [rires]. 

Le Concerto pour trompette « Nobody knows de trouble I see » emprunte en effet beaucoup au jazz… 

Il est fondé sur un thème gospel Nobody knows the trouble I see2 qu’on retrouve tout au long de l’œuvre. L’écriture concertante est également tournée vers le jazz – avec un orchestre où se trouvent une guitare, un orgue Hammond… –, tout comme les solos pour l’instrument. C’est une œuvre très rythmique et pulsatile, même si elle est faite d’atmosphères extrêmement différentes. 

En quoi cette pièce est-elle politique ? 

Elle a été créée en 1955 et prend place dans le mouvement des droits civiques américain : c’est cette année-là que Rosa Parks refuse de laisser sa place dans un bus de Montgomery à un blanc. Ce thème gospel est lourd de sens ! 

 

1 L’entretien a été réalisé en septembre 2025 

2 Dans son titre le compositeur fait une faute d’orthographe remplaçant volontairement « the » par « de » pour se rapprocher de l’anglais archétypal des Afro-Américains défavorisés 

Propos recueillis par Hervé Lévy