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Concert symphonique

La Symphonie n°4 en fa mineur de Tchaïkovski

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Badias

Sous la direction de Shiyeon Sung, l'Orchestre philharmonique de Strasbourg joue la Symphonie n°4 en fa mineur de Tchaïkovski les 5 et 6 mars 2020 lors d'un concert exceptionnel avec Vadim Repin ; La Danse des cordes, mais aussi, lors d'un concert en famille avec Clément Lebrun le 7 mars.
L'occasion de revenir sur l'histoire de cette oeuvre, au coeur du romantisme slave...

Les trois dernières symphonies de Tchaïkovski forment ce que l’on désigne comme étant le « cycle du destin ». Il s’agit du fatum qui domine les dernières années d’existence du compositeur jusque dans le drame de sa brutale disparition, suicide ou « disparition provoquée »… 


En 1877, à l’époque de la composition de la Symphonie en fa mineur, Tchaïkovski entretient des relations épistolaires avec un mécène, Nadejda von Meck. Entre l’artiste et sa bienfaitrice, il est convenu qu’il n’y aura aucune rencontre. La confiance et l’affection amoureuse se nourrissent d'une importante correspondance qui révèle la solitude de deux personnalités éminemment romantiques. 
La Quatrième Symphonie ainsi que les deux suivantes voient le jour à partir d’une suggestion de Madame von Meck : « Veuillez, Piotr Ilitch, avoir la bonté de composer un morceau pour violon et piano qui puisse s’intituler « Reproche » et illustre vraiment ce sentiment […]. Je veux que celui-ci dépeigne la nature ou le destin, qu’il traduise une peine morale intolérable comme l’exprime la locution française « je n’en puis plus ». Il faut qu’on y entende le cœur brisé, la foi foulée aux pieds, l’orgueil blessé, le bonheur perdu… ». Ce thème aussi puissant, véritable synopsis d’un roman est si peu adapté à la forme d’une sonate, que Tchaïkovski choisit de l’exploiter à l’orchestre. 

La composition de la Quatrième symphonie s’échelonna sur plusieurs mois, entre mai 1877 et janvier 1878. En juillet 1877, un évènement personnel vient bouleverser la vie de Tchaïkovski. Son mariage avec son élève Antonina Milioukova, qui était destiné à cacher son homosexualité, se solda par un fiasco. Il s’enfuit et entreprit une série de voyages en Suisse et en Italie. Il travailla autant à son opéra Eugène Onéguine qu’à la nouvelle Symphonie. Il justifia ainsi le choix de la forme musicale : « L’idée principale de la symphonie entière est le fatum, cette force funeste qui s’oppose à la réalisation du bonheur auquel nous aspirons ». Tchaïkovski fut plus explicite encore auprès de l’un de ses élèves, Sergueï Taneïev. Il revendiqua, en effet, l’esprit de la Cinquième Symphonie de Ludwig van Beethoven, partition également du destin et œuvre dont le programme ne peut être décrit par des mots.  

Le premier mouvement, Andante sostenuto suivi d’un Moderato con anima, s’ouvre comme souvent chez Tchaïkovski, par une introduction lente. Elle est animée par les cuivres qui mettent en valeur le thème principal, une formule rythmique obsédante qui tourne autour des couleurs produites par la note la. Des valses et des rêveries se succèdent à tous les pupitres à l’instar de variations sur cette seule note. Le matériau mélodique provoque des heurts, des changements incessants de mesures et d’atmosphères. Les brusques contrastes ne peuvent toutefois modifier un sentiment persistant de malaise. « Ne vaut-il pas mieux se détourner de la réalité et se perdre dans les rêves ? » écrivit le compositeur à Madame von Meck.  

Le thème de l’Andantino in modo di canzona est énoncé au hautbois. Sa mélodie évoque la solitude d’un être perdu au milieu d’un espace immense. Par l’ajout des violoncelles et du basson, Tchaïkovski amplifie le sentiment de désespoir, citant des thèmes antérieurs du premier mouvement comme de lointains souvenirs : « La mélancolie nous envahit le soir quand nous sommes seuls et fatigués, le livre ouvert pour nous distraire nous glissant des doigts sans que nous y prenions garde ». Malgré l’humeur enjouée du développement central, le climat de nostalgie domine sans conteste. 

Le Scherzo (Allegro) est l’une des pages les plus inventives du compositeur. L’air populaire qui est présenté par les cordes jouant en pizzicato transforme l’orchestre en une immense balalaïka. L’exaltation se révèle par un flot inextinguible, témoignant du sentiment d’une joie bouillonnante mais réprimée, comme incohérente. Tchaïkovski renonça à imposer un mouvement métronomique, laissant aux chefs d’orchestre le soin de traduire à leur convenance, l’effervescence de la musique. La danse centrale animée par les bois croise ainsi une hypothétique marche militaire des cuivres. Dans cet empilement de thèmes, le mélange des genres est saisissant : l’inspiration populaire à la limite de la trivialité s’insère dans un contrepoint raffiné. 

Le finale (Allegro con fuoco) s’ouvre sur un unisson, de manière flamboyante et avec une nervosité maximale. Tchaïkovski emprunte le thème à une chanson, Un bouleau se dressait dans les champs. Dans le folklore russe, le bouleau symbolise « la solitude de la femme qui se retrouve seule, malgré les amants que lui apporte le vent ». Faut-il y voir une allusion à l’échec du mariage du compositeur ? Le mouvement est conçu comme une série de variations qui font alterner l’idée d’une fête à la fois populaire et de sources plus « nobles » grâce à l’utilisation de la valse. En réapparaissant de manière éclatante, le thème du fatum rend illusoire un tel déploiement d’énergie festive. Ce n’est que dans les dernières mesures de l’œuvre, que le thème issu de la chanson populaire s’impose à nouveau comme si le compositeur craignait de conclure dans le pessimisme qui domine son immense symphonie : « Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même, alors ne dis pas que tout est triste en ce monde. Il existe des joies simples mais fortes. Réjouis-toi de la joie des autres ! On peut quand même vivre ».

La Symphonie en fa mineur fut créée à Moscou, le 10 février 1878, sous la direction de son dédicataire, Nicolas Rubinstein.

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