Agrégateur de contenus

Retour Entretien Croisé saison 22|23

Concert symphonique Conférence

La voix de l'Orchestre - Entretien croisé autour de la saison 22|23

Publié le
Image article
Nicolas Rosès

QUELS SONT LES ÉLÉMENTS STRUCTURANTS DE LA SAISON QUI S’OUVRE ? COMMENT
L’ORCHESTRE S’INSCRIT-IL DANS LA SOCIÉTÉ ACTUELLE ? POURQUOI VA-T-IL S’INVESTIR À
HAUTEPIERRE ?
DIALOGUANT EN TOUTE LIBERTÉ, JEANNE BARSEGHIAN, MARIE LINDEN ET AZIZ SHOKHAKIMOV LIVRENT DES ÉLÉMENTS DE RÉPONSE.

Propos recueillis par Hervé Lévy

QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LA SAISON PRÉCÉDENTE ?

A. S.: Je suis très heureux de cette première saison comme directeur musical et artistique. J’éprouve une certaine fierté devant ce que nous avons accompli malgré les difficultés liées à la pandémie. Il ne s’agit cependant que d’une première étape dans notre histoire commune.
M. L. : Je porte un regard admiratif sur le travail d’Aziz, car il a su rapidement trouver ses repères, imprimer sa marque à l’Orchestre tout en respectant sa longue histoire. Ce sont des équilibres extrêmement subtils.
J. B. : L’Orchestre a déployé une magnifique saison, nous prouvant encore une fois sa formidable adaptabilité après deux années bouleversées par la crise sanitaire. C’est avec une énergie renouvelée et une exigence artistique toujours intacte que nous avons retrouvé les musiciens, portés par l’arrivée d’Aziz.

AVANT D’ÉVOQUER LES CONTOURS DE LA SAISON 2022-2023, IL EST IMPORTANT DE REVENIR
SUR LE PARTENARIAT QUI DÉBUTE AVEC LE QUARTIER DE HAUTEPIERRE. POUVEZ-VOUS NOUS
EN DÉCRIRE L’ESPRIT, LES ENJEUX ET LES OBJECTIFS ?

M. L. : Nos musiciens et nos équipes ont encore en mémoire les résidences organisées il y a quelques années à Koenigshoffen, à la Meinau ou au Neuhof. L’Orchestre peut, doit être un acteur au cœur des politiques de la ville. Il faut travailler sans relâche à dépasser les préjugés et à convaincre chacun et chacune que l’Orchestre appartient à tous les habitants de la cité.
A. S. : Dans un quartier comme Hautepierre, l’Orchestre peut apporter quelque chose, comme l’a dit Marie, mais la réciproque est aussi vraie: le regard des enfants et des habitants, les échanges qui ne manqueront pas d’intervenir nous donneront beaucoup en retour. Nous avons la chance d’avoir des musiciens enthousiastes et pleinement conscients du rôle qu’ils ont à jouer.
J. B. : Ce que vous décrivez, c’est l’ADN de ce que doit être un orchestre au XXIe siècle. Ces deux missions dont parle Aziz fonctionnent ensemble : l’OPS est en même temps un ambassadeur de notre ville sur les scènes du monde entier, et un compagnon au plus près des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois. Je dirais même plus: c’est parce que l’Orchestre se nourrit de la vitalité et de la diversité de Strasbourg qu’il saura nous représenter et porter nos couleurs. L’avenir de nos institutions se joue ici, construit sur des synergies nouvelles nées de la ville et de ses citoyens. M. L. : Plutôt que de partenariat, je préfère du reste parler de jumelage au long cours, sur cinq ou dix ans. Nous coconstruisons un projet, avec les associations existantes et avec l’appui de la Mission de développement des publics au sein de la Direction de la Culture. L’enjeu est de nous glisser dans ce qui existe déjà, d’être à l’écoute des besoins et des demandes.

QUELLE EST VOTRE VISION DE LA POLITIQUE ÉDUCATIVE DE L’OPS ?

J. B. : En trois mots: intergénérationnelle, interculturelle et créative. Les formats de médiation et d’éducation artistique proposés par l’Orchestre sont nombreux et variés, ils permettent de créer du sens et du lien autour de la programmation pour les plus jeunes oreilles et favorisent la rencontre avec les œuvres et les répertoires.
A. S. : Le plus souvent possible, j’assiste aux concerts famille avec mon fils, côté public. C’est l’assurance d’apprendre des choses sans s’ennuyer et en découvrant de nouvelles émotions! Mais cette initiative n’est qu’un élément de notre politique éducative protéiforme qui se déploie en direction des publics les plus larges.
M. L. : À une période où nous n’avons pas encore retrouvé les taux de remplissage d’avant l’épidémie, il est notable de constater que les concerts famille sont très prisés. L’Orchestre a su leur conférer une identité forte. Lorsque je vois de nouveaux spectateurs en salle Érasme, qui ne connaissent pas les « codes », applaudissant, par exemple, entre les mouvements, cela me réjouit quoi qu’en pensent les puristes. Bienvenue à eux!

COMME TOUTE ORGANISATION HUMAINE, L’ORCHESTRE EST CONFRONTÉ AUX GRANDS
ENJEUX DE SON ÉPOQUE : ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES, LUTTE CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES, MAIS AUSSI TRANSITION ÉCOLOGIQUE. COMMENT S’EXPRIMENT-ILS
DANS L’UNIVERS SYMPHONIQUE ?

M. L. : L’Orchestre n’est évidemment pas hors-sol : il est en prise avec les enjeux sociaux et sociétaux de son époque. Nous allons d’ailleurs travailler avec une consultante spécifiquement chargée des questions que vous évoquez, auxquelles nous portons une forte attention. L’équation n’est pas aisée : nous allons tout d’abord dresser un état des lieux. Ensuite, nous verrons collectivement les mesures qui sont à mettre en œuvre. Ce que je peux déjà vous dire, c’est que nous agissons dans le domaine des mobilités, par exemple en complétant l’offre de déplacement en bus pour venir assister à nos concerts.
J. B. : Je salue évidemment le travail mené par l’OPS sur ces sujets. Ce sont des questions qui traversent toutes nos politiques publiques pour Strasbourg, et il est indispensable que nos institutions et plus largement le tissu culturel s’en emparent avec conviction. Il faut agir partout : en coulisse pour garantir un fonctionnement vertueux mais aussi sur scène car c’est là que se jouent les représentations de la société. Pour ce qui est de la transformation écologique, nous avons pour ambition de mettre sur pied une grille d’actions visant à réduire de manière conséquente l’empreinte carbone du secteur culturel. Ce sera un outil partagé entre tous les acteurs, institutionnels ou non. Au-delà de l’urgence climatique qui nous concerne toutes et tous, réduire l’empreinte énergétique des acteurs culturels c’est aussi leur permettre de récupérer une marge financière pour le budget consacré à l’artistique et à la création. Nous ne voulons pas que nos théâtres, nos musées, nos lieux de culture voient leur budget indéfiniment grignoté par le coût des charges fixes au détriment de l’artistique !
A. S. : Faire une quelconque différence entre hommes et femmes n’a pas de sens. Je suis heureux d’accueillir trois cheffes au pupitre de l’OPS, dont l’Ukrainienne Oksana Lyniv qui fut la première femme à diriger – et de quelle manière – à Bayreuth au cours de l’été 2021.

COMMENT DÉCRIRE LA COLONNE VERTÉBRALE DE LA SAISON 2022-2023 ?

A. S. : Je ne suis pas un fanatique des thématiques irriguant toute une saison. J’essaie toujours de créer des équilibres entre les différents répertoires – français, russe, germanique… – et d’enrichir l’ensemble de touches baroques et contemporaines. Cette diversité des traditions musicales s’applique aussi aux solistes et aux chefs que nous invitons afin de créer une mosaïque donnant envie de venir nous écouter. Si l’on souhaitait absolument décrire la saison qui s’ouvre avec le Requiem de Verdi, je dirais qu’elle entretient un rapport étroit avec la voix. Le public pourra entendre la Symphonie n°3 de Mahler, les Vier letzte Lieder de Strauss ou encore Carmen en version de concert – que nous allons enregistrer pour Warner Classics – dans une incroyable distribution (Joyce DiDonato dans le rôle-titre et Michael Sypres en Don José).
M. L. : Quand nous travaillons à la programmation avec Aziz, nous considérons que chaque concert est un monde en soi, faisant sens à lui tout seul. Cette idée d’une programmation balayant un spectre très large me séduit énormément : chacun peut ainsi trouver un rendezvous correspondant à ses aspirations.
J. B. : Comme toujours avec l’OPS, je salue l’extrême richesse et la grande diversité de cette saison 2022-2023, avec une ouverture significative sur la création et le contemporain qui ne doit pas être sans lien avec l’énergie et le regard artistique d’Aziz.

POURQUOI AVOIR TOUT PARTICULIÈREMENT MIS LA MUSIQUE CONTEMPORAINE À
L’HONNEUR CETTE SAISON AVEC LA PRÉSENCE D’ŒUVRES DE NINA ŠENK, PHILIPPE MANOURY
OU GÉRARD PESSON, MAIS AUSSI LA RÉSIDENCE DE BRUNO MANTOVANI?

A. S. : Dans une ville comme Strasbourg, la présence de la musique contemporaine est naturelle. Je suis particulièrement heureux de faire découvrir Nina Šenk, une jeune compositrice slovène très douée. Par ailleurs, explorer le répertoire contemporain est toujours excitant : je me souviens de Quelques traces dans l’air de Philippe Hurel en février 2022, une pièce ardue qui a contaminé l’orchestre de son énergie. Quelle décharge d’adrénaline !
M. L. : Travailler une partition sous le regard du compositeur constitue une expérience inégalable. C’est aussi pour cela que nous passons des commandes: après Sirens’ Song de Peter Eötvös, nous avons commandé Memoria à Bruno Mantovani… Nous sommes convaincus que l’orchestre n’est pas une institution du passé et que la musique écrite a encore un avenir!
J. B. : La création et la programmation des compositeurs et compositrices d’aujourd’hui font partie des missions de l’orchestre. Ce sont toujours des grands moments d’ébullition, parfois même de chocs esthétiques, aussi bien pour les musiciens que pour le public. On parlait juste avant d’un orchestre en prise avec la société, traversé par les grands enjeux de notre siècle : la création contemporaine en est un des catalyseurs.

ON A LE SENTIMENT QUE LES ÉCHANGES DE L’OPS – QUE CE SOIT AVEC LES AUTRES
INSTITUTIONS CULTURELLES STRASBOURGEOISES OU AVEC D’AUTRES FORMATIONS EN
FRANCE ET EN EUROPE – SONT DE PLUS EN PLUS INTENSES. QUE POUVEZ-VOUS NOUS DIRE
DE CETTE OUVERTURE ?

M. L.: Ce qui se passe à Strasbourg est unique: le niveau de connexion entre les différents partenaires culturels est impressionnant et nous sommes heureux d’œuvrer en toute complicité avec l’Opéra, le Conservatoire, le Chœur philharmonique de Strasbourg, le Festival Musica, l’Espace Django, les Musées, les Médiathèques, … Les synergies ainsi rendues possibles sont l’une des grandes richesses du territoire.
A. S. : Nous avons aussi décidé de multiplier les échanges avec les autres orchestres, Lyon la saison passée, Lille en février 2023. Faire découvrir d’autres sonorités à notre public est extrêmement important.
J. B. : Coopération ! C’est le maître mot de la politique culturelle que nous défendons avec mon adjointe Anne Mistler. La multiplication des partenariats et des collaborations entre les acteurs culturels favorise le croisement des esthétiques et des publics. De manière très pragmatique, ces échanges permettent aussi de mutualiser les coûts et de coproduire les spectacles, expositions et concerts qui font la richesse incroyable de notre vie culturelle. L’OPS est aux avant-postes de ces nouvelles alliances culturelles, et j’en suis particulièrement fière.

DE LA CORÉE DU SUD À LONDRES, L’OPS EST UN BEL AMBASSADEUR POUR STRASBOURG À TRAVERS SES TOURNÉES : QUELS SONT LES GRANDS TRAITS DE CETTE FONCTION?

A. S. : L’Orchestre est un des visages de Strasbourg. La culture est la meilleure ambassadrice d’une ville, à mon avis! Des tournées sont certes importantes dans ce cadre… mais pas uniquement puisqu’elles contribuent aussi à la qualité de nos prestations. Une vie de groupe se crée, très différente de celle de Strasbourg. Partager une expérience de voyage génère des liens humains profonds: cette cohésion trouve son expression sur la scène. C’est tout aussi important pour le son d’un orchestre que la saison de musique de chambre qui mobilise nos musiciens!

J. B. : Je partage complètement cette vision de la culture ambassadrice de Strasbourg, et l’Orchestre en est l'un de ses plus éminents représentants. Ce rôle n’est pas uniquement symbolique, on le voit avec force aujourd’hui quand notre continent est à nouveau ébranlé par la guerre. Je pense aux musiciens et aux chanteurs de l’Opéra d’Odessa, jouant pour leur vie devant le théâtre national, je pense à notre concert poignant dirigé par le chef ukrainien Kirill Karabits… La musique nous rassemble, au-delà des frontières, et nous rappelle avec force et espoir à ce qui nous lie et à ce qui fait notre histoire humaine commune.

POUR FINIR, QUEL EST VOTRE COUP DE CŒUR DANS LA SAISON?

A. S. : Vous savez, tous les programmes sont fantastiques. Il m’est impossible d’en choisir un, mais j’ai une tendresse toute particulière pour la Symphonie n°3 de Mahler, un de mes compositeurs préférés, que je dirigerai pour la première fois en janvier 2023. C’est la réalisation d’un rêve d’adolescent qui me tient particulièrement à cœur.
J. B. : Ce n’est pas un coup de cœur mais plutôt une impatience: celle de découvrir la musique de la compositrice alsacienne Marie Jaëll, effacée dans l’histoire de la musique derrière ses illustres contemporains masculins. On pourra entendre ses œuvres en novembre lors des concerts décentralisés donnés par l’Orchestre, ou lors du concert offert aux étudiants à l’Aula du Palais universitaire.
M. L. : Vous me permettrez d’en choisir deux: le Requiem de Verdi, œuvre ô combien fédératrice avec un plateau vocal absolument exceptionnel, et la création mondiale de Memoria de Bruno Mantovani qui fait partie des grands compositeurs de notre temps, une pièce pour cordes seules mettant en valeur la qualité de nos instrumentistes.