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Retour Entretien avec le violoncelliste Edgar Moreau

Concert symphonique

Entretien : Edgar Moreau, une affaire de famille(s) !

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Musacchio & Iannellio

À 28 ans, il est l’un des maîtres de la jeune génération du violoncelle français. Lauréat de deux Victoires de la musique classique en 2013 et 2015 – dans la catégorie « Révélation soliste » puis « Soliste instrumental » –, Edgar Moreau s’est notamment fait connaître du grand public le 27 novembre 2015 en interprétant la Suite n°2 de Bach aux Invalides, en hommage aux victimes des attentats. Il revient sur quelques dates clefs de sa jeune carrière, détaillant aussi ses affinités électives musicales et expliquant comment il aborde Schelomo d’Ernest Bloch, une œuvre qui lui tient particulièrement à cœur.

Vous avez été l’élève de Philippe Muller, qui a aussi formé Gautier Capuçon, Emmanuelle Bertrand, Anne Gastinel et tant d’autres. Vous sentez-vous appartenir à une école française du violoncelle ?

Je fais partie de la dernière génération qui a étudié avec cet immense pédagogue, puisqu’il est parti en retraite alors que j’achevais mon cursus au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Je me sens effectivement appartenir à une école française, même si les contours des écoles nationales ont tendance à s’estomper quelque peu avec la mondialisation. Cette tradition demeure cependant vivace : elle est faite d’une technique rigoureuse, à la fois sobre et précise… La pédagogie de Philippe Muller est fondée sur le beau son, sur la perfection technique et l’élégance, mais aussi sur un respect des différences esthétiques, en fonction du répertoire abordé.

Quelles sont vos figures tutélaires dans l’histoire du violoncelle ?

Mstislav Rostropovitch ! Il a tout joué et tout enregistré (rires). J’ai eu la chance de l’écouter en concert à quatre ou cinq ans et cette soirée m’a beaucoup marqué. Plus tard, j’ai découvert tout ce qu’il avait fait pour le répertoire du violoncelle, le transformant en instrument soliste à part entière – même si le mouvement avait été initié par Pablo Casals et Emanuel Feuermann, avant lui – et commandant de nombreuses partitions aux plus grands compositeurs du XXe siècle. Il a véritablement transcendé les frontières de son instrument.

Vous parliez du choc ressenti, tout petit, à l’écoute de Rostropovitch. Quand aviez-vous découvert votre instrument ?

À trois ans et demi, par le plus grand des hasards : je me promenais avec mon père qui était antiquaire, dans le quartier de Drouot. Nous sommes rentrés dans une boutique : au sous-sol, une petite fille prenait un cours de violoncelle. J’ai été subjugué par l’instrument, sa sonorité, sa forme… J’étais tellement scotché que mon père a pris les coordonnées du professeur. Tout a débuté ainsi !

On a le sentiment que la famille – qu’elle soit biologique ou amicale – est essentielle dans votre carrière…

Pour moi, l’esprit chambriste est vital et nourrit ma pratique quotidienne. Et l’on fait de la musique ensemble encore mieux lorsqu’on est entouré par des gens qu’on aime – comme Renaud Capuçon, David Kadouch, Bertrand Chamayou –, que les liens soient ceux du sang ou de l’amitié. J’ai ainsi fait un disque, A Family Affair (Erato, 2020), avec mes deux frères, David au violon et Jérémie au piano et ma sœur Raphaëlle, également violoniste1. Ces affinités humaines se transforment en affinités musicales et rejaillissent sur la manière de jouer ensemble.

Une autre histoire de famille vous unit à Béla Bartók : quels sont vos rapports avec le compositeur ?

Il est en quelque sorte de la famille, puisqu’il s’est remarié avec Ditta Pásztory, une sœur de mon arrière-grand-mère… Aujourd’hui je n’ai pas de rapport particulier avec sa musique, puisqu’il a peu écrit pour le violoncelle. En revanche, j’ai étudié le piano une dizaine d’années, sans avoir jamais désiré faire carrière ; puisque le violoncelle est un instrument mélodique, j’avais en effet besoin de me construire une oreille harmonique et pour cela le clavier est idéal. À cette époque, sa musique m’a beaucoup inspiré.

Que pouvez-vous nous dire du violoncelle de David Tecchler de 1711 que vous jouez depuis 2009 ?

Il appartenait à mon père qui n’en jouait pas. Il l’avait acheté comme on achète un tableau de maître…  De suite, il m’a fasciné. Il me le prêtait. Je le jouais beaucoup. À sa disparition, il est vraiment devenu mon instrument : il ne me quitte jamais et sera toujours à mes côtés. Pour moi, ce violoncelle est un mélange entre un Stradivarius et un Montagnana, un instrument d’une intense clarté qui a du coffre en même temps.

À Strasbourg, vous allez jouer Schelomo, Rhapsodie hébraïque d’Ernest Bloch que vous venez d’enregistrer sur un CD intitulé Transmission (Erato, 2022) avec l’Orchestre Symphonique de Lucerne et Michael Sanderling, où se trouve aussi un remarquable version du Kol Nidrei de Max Bruch : quel est l’esprit de ce disque ? 

Il est dédié à la tradition musicale hébraïque qui a baigné toute mon enfance et mon éducation – me donnant même envie de faire de la musique – puisqu’une partie de ma famille, du côté de ma mère, est d’origine juive. Ces partitions ont toujours été proches de moi et les réunir sur un disque enregistré juste après le confinement, une période où nous étions dans un sorte de flou, m’est apparu comme essentiel. On y trouve des compositeurs juifs qui ont écrit de la musique qui ne l’est pas, comme Korngold avec son concerto éminemment cinématographique, et des compositeurs non juifs à l’image de Ravel à qui l’on doit deux merveilleuses Mélodies hébraïques… C’est tout sauf un album communautaire ! 

« L’âme juive m’intéresse, cette âme mystérieuse et bouillonnante que je sens vibrer tout au long de la Bible ; la force des écrits prophétiques, la douleur de l’incommensurable grandeur du livre de Job, la sensualité du Cantique des cantiques. C’est tout cela que je m’efforce d’entendre en moi et de transposer en musique », écrivait Ernest Bloch. Que dire de Schelomo ?

Vous savez, j’ai un rapport plus instinctif que littéraire à la musique (rires). Bien sûr, on peut dire que mon instrument incarne le Roi Salomon2 tandis que l’orchestre représente le monde des hommes, avec comme toile de fond la leçon de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Pour moi, plus qu’un concerto pour violoncelle, Schelomo est une aventure, une fresque, un voyage intérieur qui convient parfaitement à un instrument lyrique en diable.

Qu’entendez-vous par un « rapport instinctif » à la partition ?

Lorsque je travaille une œuvre, je n’écoute aucun enregistrement pour ne pas être influencé par d’autres interprétations et pour arriver le plus vierge possible face à cette musique que je vais m’approprier, tout en respectant le compositeur. Il y a la partition, l’instrument et mon désir… Les choses peuvent alors débuter.

 

Que l’on retrouvera au PMC avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg placé sous la direction de Renaud Capuçon, le jeudi 23 mars 2023 à 20h

2 Schelomo signifie Salomon en hébreu

Propos recueillis par Hervé Lévy